L’accompagnement en réseau :Leviers et Enjeux d’une pratique professionnelle

[1]My Ismail ELFILALI


[1] Conseiller d’orientation et chercheur en éducation.

Introduction

La formation des adultes notamment dans le domaine éducatif fait de nos jours l’objet de nombreuses recherches qui se sont intéressées à l’étude des modalités et des processus d’apprentissage chez l’adulte. Les pratiques dans ce champ n’ont cessé d’évoluer. Ainsi, bon nombre de dispositifs sont mis en place dont fait partie l’accompagnement, « en vogue » aujourd’hui. Il s’agit là d’une démarche méthodologique visant essentiellement à accompagner les professionnels vers l’acquisition et la construction progressive d’une certaine professionnalité. La recherche d’Evelyne Charlier[1] nous propose d’explorer ce monde des accompagnateurs des directeurs d’établissements scolaires constitués en réseau d’échange de pratiques suite à une prescription officielle. Quelles sont alors les professionnalités spécifiques de l’accompagnateur de réseau, ses enjeux, ainsi que  les difficultés et les leviers de l’accompagnement ?

Définition de l’accompagnement en réseau :

L’accompagnement fait partie des notions en cours de définition. Paul Maela (2004)[2] souligne  que cette « notion d’accompagnement ne peut servir de concept à elle seule » puisqu’ il existe différentes formes d’accompagnement que le même auteur qualifie de « nébuleuse ». Plus spécifiquement, quand on parle de l’accompagnement en réseau, l’idée du travail collaboratif nous vient à la tête. Dès lors, on peut définir ce genre d’accompagnement comme étant l’ensemble des actions et des savoirs professionnels déployés par un accompagnateur expert en la matière afin d’aider une communauté ou un groupe professionnel à échanger des expériences singulières, à faire en sorte de trouver ensemble des solutions adaptées à des problématiques spécifiques. L’accompagnateur est là pour faciliter cet échange en créant les circonstances propices au partage d’idées et de savoirs d’action. Toutefois, nous pensons que l’accompagnateur ne doit intervenir que s’il est sollicité par le groupe. Son intervention ne doit pas dépasser le fait de faciliter l’échange et d’aider à la mise en mots des expériences du groupe. Nous estimons donc que ce travail de formalisation des expériences est ce qui est de plus riche dans l’action accompagnatrice. Au besoin, certaines connaissances théoriques peuvent être avancées pour circonscrire la pratique et l’inscrire dans un paradigme bien donné. Accompagner des adultes suppose l’adoption d’une posture neutre. Ainsi, loin d’orienter les échanges, l’accompagnateur est là pour structurer la pensée, attirer l’attention sur d’éventuelles difficultés qui peuvent se présenter, proposer des outils et méthodes d’action.

Etant convaincu de l’importance du principe prôné par le courant humaniste notamment le principe de la non directivité, nous croyons à la bonne nature de l’homme. Au fait, l’homme est merveilleusement capable d’apprendre de ses expériences et de trouver par lui-même le chemin vers ses objectifs. L’accompagnateur sert donc de guide pour les accompagnés dans ce voyage à la recherche du sens et de la vérité.

L’accompagnateur en réseau : enjeux, rôles et gestes professionnels.

Etre un accompagnateur de réseau, c’est exercer un métier qui est en cours de définition. C’est donc en référence aux représentations des accompagnateurs vis-à-vis de leur travail, aux discours tenus par ces derniers sur leurs pratiques et aux observations des accompagnateurs in-situ qu’on pourrait identifier leurs rôles ainsi que leurs gestes professionnels. D’après la recherche d’Evelyne Charlier, les accompagnateurs en réseau remplissent différents rôles en fonction du contexte dans lequel s’inscrivent leurs interventions. Dans le contexte de la mise en réseau d’établissements scolaires à visée de développement de dispositifs innovants pour lutter contre le décrochage scolaire, l’accompagnateur a pour missions de présenter et de soutenir un prescrit, étant donné qu’il est engagé par l’institution pour accompagner les directeurs des établissements scolaires à l’implantation du changement souhaité. Dans ce sens, l’accompagnateur a l’obligation de rendre compte de son action aux commanditaires de son « expertise ». Il est considéré ici comme garant du cadre et de l’institutionnel. Un rapport, renfermant des observations, des évaluations voire des recommandations quant au projet mis en place, est à prévoir à cet effet. L’enjeu ici est de remplir une mission en fonction de la prescription. Du côté des objectifs de son action, il s’agit de  favoriser l’émergence d’une culture professionnelle chez les directeurs et le réseau ainsi constitué. En qualité d’animateur de groupe, l’accompagnateur doit favoriser la réflexion des directeurs autour de leurs pratiques et faciliter la découverte et les apprentissages mutuels dans les « réseaux apprenants ». C’est donc cette richesse de l’expérience des uns et des autres qu’il faut mettre en valeur et en faciliter le transfert. L’enjeu ici est d’accompagner les directeurs des établissements scolaires à prendre du recul en leur proposant une réflexion personnelle et collective sur leur agir professionnel ainsi que sur les dispositifs qui leurs sont proposés ou qu’ils inventent eux-mêmes pour répondre à un besoin éducatif, en l’occurrence améliorer les apprentissages et prévenir le décrochage scolaire. Faciliter l’appropriation et la mise en place  de nouveaux outils de gestion par ces directeurs est une fonction primordiale de l’accompagnement. Quant aux gestes professionnels, c’est à dire l’ensemble des actions spécifiques menées par l’accompagnateur afin de réaliser certaines tâches de manière efficace, on peut citer dans ce cadre des gestes relatifs au pilotage des dispositifs mis en place (un plan individualisé d’apprentissage pour les élèves en difficulté (PIA) et un plan d’actions collectives, opérationnalisant le projet d’établissement intégré (PEI).  L’accompagnateur présente par exemple aux accompagnés le travail qu’ils doivent réaliser, instaure l’ordre et la discipline, contrôle le temps du partage, veuille au respect de l’intégrité de chaque participant, aide les accompagnés à tisser des liens entre leurs savoirs académiques et leurs savoirs d’expérience. Le tissage peut également se faire avec une autre discipline (tissage interdisciplinaire) ou avec un contexte externe à l’école. L’accompagnateur peut encore opter pour des gestes susceptibles d’aider les accompagnés à comprendre les enjeux du changement souhaité et de les  soutenir dans leurs propres démarches de structuration des connaissances, dans l’affinement d’un savoir d’expérience particulier, ou encore les sensibiliser à l’ouverture sur des propositions de stratégies à mettre en œuvre pour  faciliter des modifications des pratiques en situations de travail. L’enjeu ici est d’adopter les gestes appropriés à chaque situation d’accompagnement tout en étant capable d’en mesurer l’efficacité et l’impact.

Les accompagnateurs face aux difficultés

La plus grande difficulté que rencontrent les accompagnateurs de réseaux est probablement celle d’aider les directeurs à mettre en commun leurs expériences. En fait, cela nécessite la mise en œuvre de différentes compétences professionnelles à savoir la gestion des groupes, les techniques d’animation et surtout la gestion d’un public hétérogène aux attentes et aux besoins différents. En tant qu’initiateurs du changement planifié, les accompagnateurs se doivent d’agir sur les réalités vécues par les directeurs et en analyser les contours et contenus. Or, cette tâche n’est pas du tout évidente puisque l’accès à la réalité demeure difficile étant donné que cela se base essentiellement sur le discours des accompagnés. Le passage d’un accompagnement local à un accompagnement de réseaux territoriaux pose également la question des variantes dans le rôle de l’accompagnateur et rappelle son caractère situé.

Regard critique sur l’accompagnement en réseau.

L’analyse du concept « accompagnement en réseau », nous a permis de mettre le point sur certains aspects que présente la difficulté d’être accompagnateur et en même temps participant à cette espèce de recherche- accompagnement dans laquelle se trouve engagé l’accompagnateur en réseau. Au fait, l’implication des accompagnateurs dans cette recherche, n’aura pas que des  avantages puisqu’il faudrait qu’ils prennent le recul nécessaire et qu’ils soient  attentifs aux affirmations qu’ils avancent.  L’exercice de distanciation s’avère très difficile dans ce cas.  Chose qui risque de compromettre  la validité de la recherche. Un autre point très important est celui relatif à ce que les « coachs » nomment « le conflit de valeurs » : Généralement quand on accompagne une personne qui a des valeurs qui sont tout à fait différentes aux nôtres voire en parfaite contradiction avec nos croyances, il serait difficile de parler d’accompagnement. L’éthique de la profession oblige l’accompagnateur à respecter les valeurs contraires voire  se retirer  de la mission, le cas échéant,  étant donné qu’il serait à ce moment là difficile d’agir  à l’encontre de ce qu’on croit. Aussi, nous ne voyons pas comment les accompagnateurs, engagés avec l’institution à remplir une fonction précise,  peuvent gérer des situations dans lesquelles ils sont appelés à défendre des actions et des valeurs auxquelles ils ne croient pas !?


[1] Evelyne Charlier, «  Soutenir le changement par des réseaux d’établissements scolaires Les représentations des accompagnateurs-chercheurs ». Texte présenté aux JIEFTS 2014 – symposium « Recherche-Intervention et accompagnement du changement », toulouse,, 4-6 juin 2014.

[2] PAUL Maela (2004). L’accompagnement : une posture professionnelle spécifique, Paris : L’Harmattan.

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